Les militant/e/s se sentent souvent impuissants, même lorsque leur mouvement marche bien et qu'il est sur la voie du succès. Comprendre comment fonctionne un mouvement et reconnaître ses succès peut, par conséquent, rendre les militants et les groupes d'un mouvement conscients de leur force. Le Plan d'action du mouvement (Movement Action Plan, MAP), élaboré dans les années 1980 par Bill Moyer, est un bon outil pour ce faire ; il décrit les huit étapes que parcourent les mouvements réussis et les quatre rôles que doivent jouer les militant/e/s.

Hypothèses stratégiques

Le MAP repose sur sept hypothèses stratégiques :

1. Les mouvements sociaux ont prouvé leur force par le passé, et ils peuvent fort heureusement la prouver dans l'avenir.

2. Les mouvements sociaux se situent au cœur même de la société. Ils reposent sur les valeurs les plus avancées de celle-ci : justice, liberté, démocratie, droits civils. Même s'ils s'opposent à l'État ou au gouvernement, les mouvements sociaux ne travaillent pas contre la société, ils promeuvent une société meilleure.

3. L'opposition réelle se situe entre la « justice sociale » et les « intérêts créés ». Le mouvement travaille pour la justice sociale et les gens au pouvoir représentent les intérêts créés.

4. La stratégie essentielle est de promouvoir la démocratie participative. L'absence de démocratie réelle est une source fondamentale d'injustice et de problèmes sociaux. Dans le cadre du combat pour les objectifs du mouvement – que ce soit le droit à l'objection de conscience en Turquie ou l'arrêt de la construction d'une route au Royaume-Uni –, le développement de la démocratie participative est la clé.

5. Le public cible est la/le citoyen/ne ordinaire qui, par son consentement, donne leur force aux détenteurs du pouvoir. Le point central dans les mouvements sociaux est la lutte entre le mouvement et les détenteurs du pouvoir pour gagner le soutien de la majorité des gens, lesquels détiennent en dernière instance le pouvoir de maintenir le statu quo ou de provoquer le changement.

6. La réussite est un processus à long terme, pas un événement ponctuel. Pour parvenir à l'objectif final, le mouvement doit être couronné de succès au fil de longues séries d'objectifs intermédiaires.

7. Les mouvements sociaux doivent être non-violents. Les huit étapes des mouvements sociaux

Un mouvement commence sans le savoir lui-même. À la première étape, calme plat, l'objectif principal des groupes est de faire réfléchir les gens, de montrer qu'il y a un problème. Le degré suivant est d'exposer la faillite des canaux établis (étape II). En recourant à des auditions, en participant à des procédures légales ou administratives, etc., le mouvement doit prouver que ces institutions ne vont pas agir pour que les gens puissent voir le problème réglé – il va falloir que les gens agissent eux-mêmes.

Cela conduit aux conditions matures (étape III) pour le développement d'un mouvement social. Les gens commencent à écouter et à former de nouveaux groupes, de petites actions de désobéissance civile commencent à mettre en scène le problème. Les détenteurs du pouvoir sont un peu irrités mais, dans l'ensemble, les choses suivent leur cours habituel.

Si le mouvement fait bien son travail en interne (organisation de nouveaux groupes, tissage de réseau et construction d'une coalition), il peut décoller (étape IV) à la suite d'un événement déclencheur. Il peut s'agir d'une action organisée par le mouvement – l'occupation d'un chantier à Whyl (Allemagne), est à l'origine du mouvement antinucléaire allemand – ou d'une réaction venant des détenteurs du pouvoir. L'événement déclencheur suscite des manifestations massives, d'importantes campagnes de désobéissance civile et une couverture médiatique conséquente. Même si le mouvement a acquis un fort coefficient de sympathie auprès du public, les détenteurs du pouvoir ne cèdent généralement pas à ce stade.

Cela fait naître une sensation d'échec (étape V) chez de nombreux militant/e/s, ce qui est mis en évidence par une participation en baisse aux événements suivants du mouvement, ainsi qu'une couverture médiatique négative.

Mais, au même moment, le mouvement a conquis la majorité (étape VI). Jusqu'alors, le mouvement a été centré sur la protestation ; il est à présent important qu'il propose des solutions. Près des trois quarts de la société reconnaissent qu'un changement est nécessaire. Il est maintenant important de remporter la mise pour ce qui est de la nature du changement à opérer.

Les détenteurs du pouvoir vont essayer de tricher avec le mouvement, d'alourdir la répression, de jouer des tours (le gouvernement allemand essaie maintenant d'expédier les déchets nucléaires à Ahaus au lieu de Gorleben). Le mouvement doit viser à contrer ces ruses et à promouvoir une solution alternative.

Le succès véritable (étape VII) est un long processus qu'il est souvent difficile de reconnaître. La tâche du mouvement n'est pas seulement de voir ses demandes satisfaites, mais aussi de parvenir à un changement de modèle, à une nouvelle façon de penser. Fermer toutes les centrales nucléaires sans modifier notre rapport à l'énergie ne fait que déplacer le problème de la radioactivité au dioxyde de carbone (même si c'est déjà une réussite). La présence de quelques femmes dans un bureau n'altère pas la structure d'une société patriarcale.

Après que le mouvement a gagné – à la suite d'un combat frontal ou grâce à l'affaiblissement progressif des détenteurs du pouvoir –, il lui faut assurer le maintien de ce succès dans la durée. La consolidation du résultat et le transfert

vers d'autres combats (étape VIII) est à présent le travail du mouvement.

Recuadros correspondientes a las p. 44-45 de la v. impresa Les huit étapes du processus d'un mouvement social couronné de succès Recuadro centro p. 44 Caractéristiques du processus d'un mouvement Les mouvements sociaux sont formés de nombreux sous-objectifs et sous-groupes, dont chacun se situe à son étape dans son propre MAP.

Stratégie et tactique sont différentes pour chaque sous-mouvement, en fonction de l'étape du MAP où se situe chacun d'entre eux.

Les sous-mouvements doivent continuer d'avancer à travers les huit étapes.

Chaque sous-mouvement est centré sur un objectif spécifique (par exemple, pour les mouvements des droits civils : restaurants, droit de vote, logement social).

L'ensemble des sous-mouvements promeut le même changement de modèle (par exemple, le passage à une politique énergétique « douce »).

Le public doit être convaincu trois fois :

1. De l'existence d'un problème (étape IV).

2. De la nécessité de s'opposer aux conditions et aux politiques en cours (étapes IV, VI et VII).

3. De souhaiter, et non plus craindre, la mise en place de solutions alternatives (étapes VI et VII). Recuadro p. 45 Détenteurs du pouvoir (justo encima) Protestations Ocho recuadros de izqda. a dcha. y siguiendo las flechas

1. Période normale Il y a un problème social critique, qui viole des valeurs amplement reconnues. Les détenteurs du pouvoir entretiennent le problème : leurs « politiques officielles » respectent ces valeurs largement reconnues, tandis que leurs « politiques pratiques » les violent. Le public n'a pas conscience du problème et il soutient les détenteurs du pouvoir. Le problème et les politiques suivies ne font pas l'objet d'un débat public.

2. Démontrer l'échec des institutions officielles Nombreux groupes locaux d'opposition. Recourir aux canaux officiels – tribunaux, services gouvernementaux, commissions, auditions, etc. – pour démontrer qu'ils ne fonctionnent pas. Devenir des spécialistes. Faire de la recherche documentaire.

3. Conditions matures La reconnaissance du problème et de ses victimes augmente. Le public voit le visage des victimes. Groupes locaux actifs plus nombreux. Nécessité d'institutions préexistantes et de réseaux disponibles pour le nouveau mouvement. 20 à 30 % du public s'oppose aux politiques des détenteurs du pouvoir.

4. Décollage ÉVÉNEMENT DÉCLENCHEUR. Campagnes et actions non-violentes spectaculaires. Les actions montrent au public que les conditions et politiques en cours violent des valeurs amplement reconnues. Des actions non-violentes se répètent partout dans le pays. Le problème est inscrit sur l'agenda social. Le nouveau mouvement social décolle rapidement. 40 % du public s'oppose aux politiques et conditions en cours.

5. Sensation d'échec Les objectifs sont vus comme non atteints. Les détenteurs du pouvoir sont vus comme inchangés. Le nombre des participant/e/s aux manifestations est en baisse. Désespoir, trou noir, on est grillés, marginalisation ; le mouvement semble être fini. Apparition de « rebelles négatives/-tifs ».

6. Opinion publique majoritaire La majorité s'oppose aux conditions présentes et aux politiques des détenteurs du pouvoir. Montrer comment le problème et les politiques touchent tous les secteurs de la société. Impliquer des institutions et personnalités centrales dans la prise en compte du problème. Le problème est inscrit sur l'agenda politique. Promouvoir des alternatives. Contrer chaque nouvelle stratégie des détenteurs du pouvoir. Démonisation : les détenteurs du pouvoir suscitent la crainte du public à l'égard des alternatives et des militant/e/s. Promouvoir un changement de modèle, pas seulement des réformes. De nouveaux événements déclencheurs se produisent, réactivant pendant de courtes périodes l'étape IV.

7. Succès Une large majorité s'oppose aux politiques et n'a plus peur de l'alternative. De nombreux détenteurs du pouvoir prennent de l'air et changent de position sur l'échiquier. Processus de fin de partie : les détenteurs du pouvoir modifient leurs politiques (il est plus coûteux pour eux de maintenir les anciennes que d'en changer), ils ne sont pas réélus à leur poste ou s'usent lentement, hors de la scène. Nouvelles lois et politiques. Les détenteurs du pouvoir essaient de procéder à des réformes minimales, tandis que le mouvement demande un changement social.

8. Continuer le combat Amplifier les succès (par exemple, des lois pour des droits civils encore plus forts). Empêcher les velléités de retour de bâton. Promouvoir un changement de modèle. Reconnaître/célébrer les succès obtenus à ce point.

Quatre rôles de militant/e

Les militant/e/s doivent assumer des tâches très différentes à chacune des huit étapes. Elles ne peuvent être effectuées par le même genre de personne, et l'on peut ainsi identifier de façon générale quatre grands types de militant/e. Ils doivent tous être représentés et travailler efficacement pour que le mouvement puisse réussir.

La/le rebelle est le genre de militant/e que beaucoup de gens associent aux mouvements sociaux. Grâce à des actions directes non-violentes et en disant publiquement « non », les rebelles inscrivent le problème sur l'agenda politique. Mais ils peuvent être inefficaces lorsqu'ils s'auto-identifient comme une voix isolée à la lisière de la société et jouent au militant radical. Les rebelles sont importants aux étapes III et IV et après tout événement déclencheur, mais migrent généralement vers d'autres mouvements matures à l'étape VI ou plus tard.

Les réformatrices/-teurs sont souvent peu valorisés dans les mouvements, alors que ce sont elles qui démontrent l'échec des canaux existants ou qui promeuvent des solutions alternatives. Cela étant, ils ont souvent tendance à croire aux institutions ou à proposer des réformes trop timides pour consolider la réussite du mouvement.

Les citoyen/ne/s garantissent que le mouvement ne perde pas contact avec son public principal. Ils montrent que le mouvement agit au cœur de la société (enseignant/e/s, physicien/ne/s et fermier/e/s participant aux manifestations à Gorleben) et le protègent face à la répression. Elles peuvent être très inefficaces quand elles continuent de croire aux proclamations des détenteurs du pouvoir qui prétendent être au service de l'intérêt général.

L'agent du changement est le quatrième rôle et dans une certaine mesure le rôle-clé dans tous les mouvements. Elle promeut l'éducation et convainc la majorité de la société, organise des réseaux de terrain et promeut les stratégies à long terme... Il peut aussi être inefficace en promouvant des visions utopiques ou en se faisant l'avocat d'une approche unique. Elle a aussi tendance à ignorer les questions personnelles et les besoins des militant/e/s. Et maintenant ?

Les mouvements sociaux sont des phénomènes complexes : ils ne suivent pas le MAP comme une route sur la carte (map). Mais essayer d'identifier à quelle étape en est votre mouvement et de quel type de militant/e/s il est constitué est une aide importante pour reconnaître le succès et se développer dans l'avenir. Si vous êtes perdus sur la voie... regardez votre MAP ! Recuadro publicado en la versión on line (http://www.wri-irg.org/node/8668) (celda tras celda en sentido horizontal) État stable / Établissement d'une tension dans le système / Vu comme un problème général / Résolution

1 Calme plat / 2 Échec des canaux normaux / 3 Conditions matures / 4 Décollage ! / 5 « Échec » militant / 6 Majorité du public gagnée / 7 Succès ! / 8 Transfert

Pie de recuadro

Les quatre rôles du militant – Participation / Adapté de Bill Mayer, The Practical Strategist, San Francisco, Social Movement Empowerment Project, 1990. Publication originale : Peace News, n° 2423, mars 1998.